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L'artiste populaire Stanislovas Riauba

 


Kaukė (Masque), Stanislovas Riauba 1965, h 51, LDM,
avec l’aimable autorisation de la Lietuvos tautodailininkų sąjunga (Vilnius).

 
Stanislovas Riauba est né en novembre 1904 dans un petit village près de Plateliai et est mort en avril 1982 dans son district natal. Autodidacte, il était devenu l’un des sculpteurs populaires les plus remarquables de Lituanie.

 [autres artistes lituaniens]


Stanislovas Riauba, vie et œuvre d’un artiste populaire lituanien
par Marija Kuodienė, historienne de l’art, Vilnius


Stanislovas Riauba est l’un des sculpteurs populaires lituaniens les plus remarquables. L’œuvre de cet artiste primitif déborde d’esprit, d’humour gai et de fantastique. Il s’y révèle l’esprit du créateur dans sa sensation du monde, ses rêves et sa pensée, sa franchise et sa bonté. Ses sculptures expressives et monumentales, décoratives et colorées, traduisent à leur manière les caractéristiques de l’art populaire typiquement lituanien. C’est au début des années soixante que les œuvres de Riauba apparaissent dans des expositions nationales, soviétiques et étrangères, lui apportant la reconnaissance, l’engouement et la haute considération de la société. Selon le poète Sigitas Geda, « se sont introduits au même moment dans notre horizon et notre conscience, les noms et travaux de Jadvyga Nalivaikienė et de Stanislovas Riauba, un sculpteur samogitien de Plateliai, « artiste » du village de Godeliai, un minuscule bonhomme semblable à un papillon. » Presque en même temps sont apparus deux représentants de l’art primitif, à savoir la peintre Monika Bičiūnienė et le sculpteur Lionginas Šepka. Les œuvres de ces artistes représentent une part importante du patrimoine populaire lituanien de la deuxième moitié du XXe siècle.

 

Les œuvres de Riauba qui ont le plus de valeur sont aujourd’hui conservées dans les musées lituaniens[1]. Riauba offrait facilement ses sculptures ou les vendait pour presque rien à ses invités ou à des collectionneurs.

 

Stanislovas Riauba est né le 13 novembre 1904 à Godeliai, petit village du canton de Plateliai, dans le district de Kretinga. Il fut élevé par sa mère seule, Kotryna Riaubaitė, qui vivait elle-même avec ses frères dans une vieille ferme. Déjà pendant son enfance, le jeune garçon, humilié et mal-aimé, connut la pauvreté et la misère. Il n’alla pas à l’école et apprit par lui-même à lire et à écrire. A partir de son adolescence, il dut travailler dur à la ferme de ses oncles et tantes. Il était très doué de ses mains et savait faire toutes sortes de travaux. Enfant vif et agile, il passait ses moments de loisir dans la nature, observant les oiseaux, les insectes et les animaux. Le village de Godeliai, où Riauba passa toute sa vie, était dressé au milieu de collines vallonnées, de taillis et de grandes forêts. On y comptait trente-quatre fermes, et près de chacune d’elles, s’élevait une chapelle miniature ou un reposoir à sculptures de saints (poteau-chapelle). On trouvait également beaucoup de tels reposoirs au bord des routes en direction de Plateliai, Šateikiai et Plungė. Le futur artiste populaire voyait les dievadirbiai (littéralement, les artisans de Dieu) au travail et connaissait bien leurs ouvrages. Il était séduit par la beauté des églises, par les autels aux arcs en ogives avec sculptures, des petites tours ornées de feuilles trifoliées, de roses rondes et de petites étoiles. Emerveillé, il observait les bruyants défilés costumés de Mardi gras. Il aimait prendre part aux joyeuses kermesses où participaient des farceurs de toutes sortes. Il aimait particulièrement écouter des histoires qui le tenaient en haleine ou des récits fantastiques. Et ces impressions vécues pendant l’enfance restèrent gravées dans son esprit toute sa vie.

 

Stanislovas Riauba réalisa ses premiers petits objets à l’âge de 16 ans, quand il était berger. Avec un petit couteau, il taillait des oiseaux, des animaux, des pipes, des cadres, des petites boîtes, qu’il décorait de pétales et de petites rainures. A la demande des voisins et en prenant pour modèle les sculptures des dievadirbiai, il commença à produire de petites statues à l’effigie de Sainte Barbe, Saint Antoine, Saint George et Saint Joseph. Il ciselait minutieusement les corps des figurines, leurs visages, d’infimes détails et les plis de leurs habits, puis les peignait. Il confectionnait les masques traditionnels de Mardi gras. Comme il avait un talent inné, il se mit à tailler de grandes sculptures sans beaucoup de difficultés. En 1936, Riauba créa une sculpture de haute taille à la forme artistique expressive représentant la Sainte Vierge (L’Immaculée conception), qui fut installée dans la chapelle de la ferme de Pranas Gedvilas. Au mois de mai, les gens venaient prier et chanter auprès d’elle. Pour lui-même, il sculpta un petit autel décoré d’ornements et tailla une coupe ronde. Vers 1942, il créa L’Ange gardien, une composition artistique aux formes monumentales, qui se distingue par la maîtrise de son exécution, son esthétisme et son caractère populaire. Les œuvres de jeunesse qui nous restent témoignent du talent de cet artiste autodidacte à ressentir la forme, à voir l’image plastique de l’ensemble.

 

Après la guerre, Riauba travailla dans la ferme de sa tante et alla au kolkhoze à sa place. Il ne se maria jamais. Il s’évadait des fatigues de la vie quotidienne en plaisantant, rapportant de façon pittoresque les divers contes et récits qu’il avait entendus. Mais derrière le plaisantin, le blagueur, le conteur enjoué, se cacha sa douce et sensible nature artistique. Il s’oubliait complètement lorsqu’il sculptait. La flamme créative qui brûlait en lui le réchauffait et apaisait son âme esseulée. Son œuvre lui apporta moralement une joie et un plaisir particuliers.

 

En 1961, le critique d’art Aleksandras Kancedikas rendit visite à Riauba et décrivit la vie de celui-ci dans un journal : « La chaumière dans laquelle vit Riauba est plongée dans la pénombre. Une pièce regorge de petits personnages imaginaires, d’animaux et d’oiseaux fantastiques. Il n’a jamais été plus loin que son village de Godeliai et n’a pas non plus fondé de famille. ». Il sculptait des objets d’ornement pour la vie courante, comme de petites boîtes et de petits cadres qu’il décorait avec des fleurs, des étoiles, des feuilles trifoliées et des grappes de raisin en relief. Il diversifiait ses porte-serviettes, cendriers et cannes avec des motifs artistiques et peignait toujours ses œuvres de couleurs simples. Le maître populaire sculpta un grand nombre de petits animaux aux formes primitives réalistes qu’il offrait aux enfants. Il travailla moins sur les sculptures des saints et laissa son esprit et ses fantaisies s’épanouir dans des thèmes profanes et historiques. Les contes et légendes, ainsi que les représentations du bien et du mal, inspirèrent grandement son œuvre. Dans la composition La Sorcière grondant l’orpheline, l’auteur sculpta avec un grand savoir-faire l’horrible sorcière, accentuant sa grande bouche ouverte, ses dents, ses longs ongles des mains et des pieds, et réussit de façon suggestive, à communiquer un sentiment de compassion et de pitié pour l’orpheline.

 

L’artiste laissa dans son œuvre une large place à l’habitant des forêts de jadis : le diable. Le sculpteur représente celui-ci dansant avec une sorcière, jouant de l’harmonica, ou emportant la bigote en enfer. La composition du diable dansant avec la sorcière se distingue par son caractère ludique et expressif. Dans les sculptures se reflètent également les instants de la vie quotidienne et il tourne souvent en dérision les vices par des contrastes ironiques ou des comparaisons pleines d’esprit. Dans les compositions artistiques comme Le Meunier, Le Seigneur et le Paysan, Mathieu et Barbara, Au marché, ou encore Les Musiciens, on trouve une bonne dose d’humour léger et de rire bon-enfant. Les corps de certains personnages sont défigurés, déformés, pour tenter de représenter l’expression d’un mouvement réellement vivant. Le plus souvent, la position des figurines est statique et frontale, les formes sont monumentales et décoratives, et les surfaces, polies et peintes de façon unie. Le sculpteur porte surtout une attention spéciale aux visages des personnages. Il peut y accentuer le caractère, le fondement des émotions. Leurs longs nez crochus et ronds, et leurs yeux exorbités font penser à des oiseaux. Le meunier au nez crochu par exemple ressemble à un rapace. Les visages des seigneurs et des riches sont ronds, aux joues gonflées, rougies, les commissures des lèvres, tombantes, et les yeux aux pupilles noires sont grands et affreux. Les images des dinosaures et des hommes préhistoriques vus dans les manuels scolaires ont excité l’imagination fertile de l’artiste populaire. Des bêtes sauvages et animaux fantastiques sont alors apparus dans son œuvre. Il sculpta des singes aux poils courts et longs avec des visages plats.

 

Les dragons de Riauba sont particulièrement expressifs avec leur dos rond allongé, leurs ailerons hérissés de piquants, leur queue d’écailles, leur bouche grande ouverte et leurs longues langues fines. Ils ont une forme expressive particulière, un esprit romanesque et leur représentation est monumentale. Parmi les oiseaux, on peut rencontrer un hibou grand-duc aux oreilles ornées de longues touffes, une chauve-souris violette aux battements d’ailes silencieux, et une chouette brune étendant amplement ses ailes bigarrées.

 

Le Charmeur de serpent et Le Comte de Plateliai sont aussi à classer parmi les œuvres les plus significatives. Le corps du charmeur est déformé, et dans ses grandes mains se contorsionne le serpent agité. Les poils fixés près du visage du comte l’associent à la tradition des masques. Les sculptures paraissent effrayantes, pleines d’expression et de vitalité. Ses petites figurines, Riauba les appelait des faifokliai[2]. Il chercha sciemment à créer quelque chose de neuf, d’étrange, de fantastique.

 

En 1964, une première exposition des œuvres de Riauba fut organisée à Vilnius. Le journaliste Tomas Sakalauskas écrivit à propos du talentueux artiste populaire : « Au milieu d’une foule de gens se tenait un petit homme silencieux, perdu dans ce milieu très inhabituel et tout à fait étranger. Il avait l’air tellement effrayé, si loin de ce qu’il est. Les gens, voyant ses sculptures si colorées, si originales, aux formes d’un caractère tellement populaire, voulaient en savoir plus, mais lui se taisait… Aucune histoire sur sa vie, existence sans évènement, sans tragédie, qui se passa entièrement dans le village de Godeliai. ». Le sculpteur Konstantinas Bogdanas qualifia le talent du maître populaire en ces mots : « Le plus agréable, c’est que la touche créative de Riauba est toujours différente et originale si l’on compare ses travaux avec ceux des autres sculpteurs. Dans tous les travaux de Riauba, on ressent constamment le caractère autodidacte et la profonde tradition de l’art sculptural populaire. »

 

En 1965, laissant sa petite chaumière qui tombait en ruine, Riauba alla s’installer chez ses voisins Justinas et Regina Jonušai, qui accueillirent de bon cœur le maître solitaire et abandonné. Dans la vieille ferme des Jonušai, il se consacra avec enthousiasme à la réalisation de ses sculptures et de divers petits objets. Au plafond, il accrocha des étoiles sculptées et peintes et un lustre, sur les murs, de petits cadres avec photo, un accroche-serviette orné d’un petit génie, un soleil, une lune… Il y installa un petit autel, des vases en bois et une lanterne. Dans le petit jardin près de sa fenêtre, il planta des sapins, des pins, des trembles et des bouleaux. De petits oiseaux en bois sculptés et peints étaient perchés sur les branches des arbres, aux pieds desquels poussaient des champignons de bois et un écureuil sautillait sur le bord de la fenêtre. La petite chambre elle-même était remplie de sculptures peintes ou non. Le maître populaire les sculptait en hiver et, de Pâques au dimanche suivant, il les peignait. Pour ses travaux, il utilisait le tilleul et le tremble mais il aimait aussi travailler le chêne. En été, il se levait tôt, bien avant l’aube, et marchait sans but pendant des heures et des heures dans les bois, observant les élans, les sangliers, les renards, ramassant des myrtilles et des champignons. Dans une lettre, il écrivit : « J’attends l’arrivée de l’été sacré pour aller dans les champs, les prés, les bois, pour écouter le chant des oiseaux et je serai à nouveau bien. » Des prés en fleurs, il ramenait des bouquets multicolores qu’il mettait dans de petits vases de bois près l’autel et ses petites sculptures de la Vierge. Quand lui venait l’envie de sculpter, il s’isolait et cherchait son inspiration en lui-même. Il mûrissait longuement en lui la vision d’un animal ou d’un oiseau, puis l’image et le projet de la sculpture. Avait-il rêvé d’une figure intéressante, d’une chose étrange, il la dessinait en quelques traits grossiers sur un papier. La réalisation de la sculpture n’était pas compliquée pour lui. Par ailleurs, il brûlait les travaux qu’il considérait n’avoir pas réussis.

 

Au milieu des années soixante, l’œuvre de Riauba s’enrichit de nouveaux thèmes et d’une dimension psychologique. Un des plus beaux travaux dans l’héritage du sculpteur est La Sorcière de Plateliai. La composition représente une sorcière chevauchant un cheval blanc à la crinière en relief, recouvert d’une couverture verte bordée de rose. Un manteau royal vert doublé de rouge recouvre sa robe jaune en flottant au vent. Avec ses formes ornementales et dynamiques élaborées avec réalisme, et la structure de sa représentation plastique, l’ensemble sculpté dans un seul morceau rappelle les sculptures traditionnelles de Saint Georges. Dans ses œuvres apparurent alors des émotions fortes et de tristes pensées. Les figurines de L’Horloger assis ou du Petit Bossu en marche, avec leurs chapeaux pointus, semblent agir avec dramatisme. Lorsqu’il dessine des hommes forts comme Samson et Hercule, le sculpteur cherche à exprimer un esprit de combat et de victoire, les forces du mal sont incarnées par les figures de Denikine et de Wrangel, et la petite sculpture du Diable avec une hache déborde de haine et d’agressivité. Dans la scène de La Jeune Ivrogne, le regard de l’auteur se tourne vers les faiblesses et faux-pas humains. A cette période-là, nous pouvons voir dans l’œuvre de l’artiste des sculptures où souffle un esprit romantique, représentant de belles reines et princesses aux cheveux longs et bouclés. Parmi les statues, on voit de sympathiques femmes, dont les poitrines sont artistiquement décorées de minuscules colliers de perles, les mains, de bracelets, et les têtes, de couronnes d’étoiles ou de fleurs. Des motifs orientaux vus dans des livres se reflètent dans les détails décoratifs. Dans ces sculptures royales, l’artiste a particulièrement exprimé sa sincère admiration de la beauté de la femme.

 

Le talent du sculpteur autodidacte s’est épanoui dans ses derniers travaux. Dans les sculptures L’Artiste, Le Chevalier, La Demoiselle d’Orléans, Saint Stanislas, Le Dinosaure et Le Dragon, il célèbre l’âme libre de l’artiste, le combat des chevaliers pour la liberté et le bien, présente son saint patron, ou créé des animaux des plus fantastiques. Les qualités humaines les plus nobles, comme le bien et la beauté, sont idéalisées dans ses œuvres.

 

Durant toute sa vie, Riauba vécut avec la nature dans le village de Godeliai. Dans ce petit coin perdu de Samogitie, le cœur de l’artiste populaire de talent battait avec force, plein de rêves, de pensées et de projets créatifs. Riauba est mort le 12 avril 1982 et fut enterré dans le cimetière de Beržoras.

 

Stanislovas Riauba se chercha lui-même à travers ses sculptures primitives en se tournant vers la nature, son village natal, la sculpture populaire et les traditions folkloriques. Mais c’est la culture spirituelle nationale qui a donné la plus forte impulsion à son œuvre. Dans la personnalité de l’artiste, l’art populaire traditionnel est mêlé à son talent de créateur, son ardeur, sa vitalité et sa créativité. Riauba sculpta pour lui-même et pour les gens de son village et ni le temps ni la mode ne peuvent ébranler son œuvre, qui coule comme une source claire et vivifiante. Les œuvres de l’artiste populaire ont enrichi non seulement la Lituanie, mais aussi l’art primitif du monde entier.

 

Traduit du lituanien par Sylvie Burin des Roziers
@ Marija Kuodienė, Cahiers Lituaniens, n°10, 2009



[1] Essentiellement au Lietuvos dailė muziejus (LDM, Vilnius), au Žemaičių dailės muziejus (ŽDM, Plungė) et au Žemaičių muziejus Alka (ŽMA, Telšiai), ainsi qu’au Lietuvos liaudies kultūros centras (LLKC, Vilnius).

[2] Selon Aldona Ulevičienė, le mot faifoklis semble se référer à la pratique de l’heure du thé (five o’clock) dans les manoirs des seigneurs locaux et a pris le sens de lubie dans le langage des villageois.