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Kestutis Grigaliunas, peintre

 

"Vilniuje Šv. Onos bažnyčia besigrožintis Napoleonas su cigarete rankoje"
(Napoléon admirant l’église Sainte Anne à Vilnius, une cigarette à la main)
de Kestutis Grigaliunas

La peinture reproduite en couverture du n°7 - automne 2006 - des Cahiers Lituaniens est une œuvre en acrylique, 140x92, réalisée en 2004.

Crédit photo : Vidmantas Ilčiukas, Vilnius
Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Kestutis Grigaliunas est né en 1957 à Kaunas. De 1976 à 1982, il étudie au département d’arts graphiques de l’Institut des beaux-arts de Vilnius. Il commence à exposer ses œuvres en Lituanie et dans les pays baltes dès les années ’80 et en Allemagne, Autriche, Belgique, Suède, depuis le rétablissement de l’indépendance de son pays en 1990. Grâce à une bourse du « Club de Strasbourg », Kęstutis Grigaliūnas a résidé d’octobre 2005 à janvier 2006 dans la capitale de l’Alsace, où il a pu expérimenter de nouvelles formes d’expression plastique. Pendant quatre mois, il disposa d'un vaste atelier au sein d'une communauté d'artistes français et européens où il réalisa de nombreuses œuvres. Il enseigne actuellement à l’Académie des beaux-arts de Vilnius.

[autres artistes lituaniens]


Arts plastiques : la magie de l'artifice chez Kęstutis Grigaliūnas
par Laima Kreivytė, critique d’art, Vilnius

Les sculptures de Kęstutis Grigaliūnas sont comme le résultat du patinage artistique d'une scie. Sauf que cette scie ne patine pas sur de la glace mais sur du bois, duquel jaillissent de nombreux copeaux. Ces éclats de bois blessent parfois l'auteur, parfois le spectateur. N'est-il pas étrange que Grigaliūnas, ayant sculpté tant de créatures et d'objets, n'ait fabriqué aucun Pinocchio? Bien que son atelier soit rempli de jouets de bois aux couleurs lumineuses, fruit de son travail, la plupart sont d'originales petites voitures qui se manoeuvrent avec une rare perfection. Cependant, on ne trouve là aucun petit personnage. Car dans les sculptures sur bois de Grigaliūnas, les gens sont le reflet des choses, et non le contraire.

Si l’on étudie plus attentivement les sculptures sur bois de Grigaliūnas, on comprend que Pinocchio ne peut pas s'y trouver, à part, peut-être, sa chaussure ou sa jambe. En effet, sculpter une création ex nihilo, tenter d'insuffler la vie à des objets qu'il construit, cela n'intéresse absolument pas l'auteur. Si l'on passe en revue l'intégralité des productions de l'artiste, il paraît clair que, pour lui, un détail est plus important que l’ensemble, une citation plus parlante que tout l'original, et le « prolongement de l'humanité » défini par Marshall McLuhan plus important que l'humanité en elle-même. C'est pourquoi qu’à côté des voitures, des hélicoptères et de toute autre prothèse du pouvoir masculin, on trouvera des chaussures de mode de toutes les époques et de tous les styles, des sandales antiques aux petits souliers baroques. Dans les représentations traditionnelles du pouvoir féminin, à part les érotiques escarpins, il y a aussi des ongles pointus, vernis d'un rouge écarlate. Mais lorsque de telles mains de femme saisissent des haltères, cela devient presque comme des menottes.

Les personnages de Grigaliūnas (ou, plus exactement, leurs traces) jouent toujours un double, voire un triple jeu. Tout d'abord, il y a ce qu'on voit vraiment (par exemple un nu, un bateau, un bouquet de fleurs ou autre). Deuxièmement, après tout un travail sur cette matière première vient se rattacher une foule de détails et de références culturelles à des films, à la publicité, à l'histoire de l'art ou au quotidien. Et troisièmement, toutes ces matières retravaillées s'embrouillent, souvent jusqu'à se battre entre elles. C'est alors qu'au lieu d'un pan décoratif, nous nous trouvons face à un petit drame. Le plus souvent, un titre ou une légende lui est nécessaire. En effet, une telle oeuvre, du point de vue du genre, se place quelque part entre la BD et le soap opera. Et parfois nous ne sommes pas loin d'un « véritable » opéra. Seulement celui-ci ne vous tirera pas une larme, car à travers les petites fentes apparentes dans le bois des sculptures, on peut apercevoir le clin d'oeil ironique de l'auteur. Est-il érotique le « bisou » entre un gros et grand visage et un autre petit et fin ou cacherait-il réellement les « profondeurs de l'existence » décortiquées dans ces feuilletons ? Non, vraiment. Et le portrait d'un capitaine encadré par des sauvageonnes toutes nues, avec des cigarettes fumantes qui lui sortent des yeux, fait plutôt penser à un panneau de signalisation « d’aire de loisir ». Mais on peut noter que l'ancre qui décore la casquette du capitaine ressemble fortement à la lettre russe "Я" (« moi » en russe). Ne serait-ce pas alors un autoportrait ironique?

La "méthode" de Grigaliūnas est plus évidente dans son travail sur le Chat Botté, où l'aventurier et rêveur du célèbre conte tient en joue le spectateur avec son pistolet et le menace : « Rappelle-toi que l'art n'est pas un jeu. » Que peut bien faire l'artiste avec ces petits avions, ces boîtes et cette tête de Bouddha (de même qu'avec les membres de beaucoup d'individus) ? Il expérimente les plaisirs de la construction. D'une part, comment des quantités de petits détails de toutes les couleurs peuvent s'imbriquer avec précision et beauté (sans même avoir été travaillés). Et d'autre part, comment, en ouvrant un vide, une forme peut se créer. Cependant, Grigaliūnas ne s'amuse pas ainsi avec les legos ou puzzles qu'il fabrique. Son propre puzzle rappelle plutôt la recette dadaïste de Tristan Tzara : prends un journal, découpe des mots, mets-les dans un chapeau, mélange-les bien, tire et pose-les comme ils arrivent. Tu auras un poème dadaïste.

Avec le calme d'un chaman moderne, Grigaliūnas met dans le même panier une icône de pop art, un emballage de Fluxus, des portraits de personnalités et du kitsch pour épicer. Si l'on veut goûter à un cocktail de Grigaliūnas, il n'y a pas besoin de demander au docteur ou au pharmacien. Mais il vaut mieux ne pas demander à l'auteur non plus, car il s'arrangera pour orienter sa vision des choses dans la direction la plus favorable pour lui.

Les couleurs des sculptures de Grigaliūnas étonnent par leur intensité et leur diversité, si inhabituelles en Lituanie. Par exemple, chacune des roues de ses petites voitures est peinte d'une couleur différente. Et les formes de ses sculptures sont également très variées. Les unes sont planes et décoratives tandis que les autres sont épaisses et en relief, bigarrées comme un chapeau de clown ou du vert profond de la mousse humide, monumentales comme une piste de décollage ou fragiles comme les muguets d'hier. Hybrides et polymorphes, voilà ce que sont ses sculptures de bois. C'est ici une bête sauvage comme un paysage, là un visage en nature morte, une chaussure de sport pour un Zeppelin ou encore une cible dressée sur un pupitre, car un tireur est aussi un musicien qui joue avec des balles.

Si les sculptures de Grigaliūnas devaient avoir un quelconque mode d'emploi, ce serait « Notes on ‘Camp’ » de Susan Sontag. Tous les points ne coïncident pas exactement, mais certaines remarques éveillent de charmantes sensations d'artifice. Par exemple : « plus on s'intéresse à l'art, moins on se soucie de la nature ». Et comme pour un vrai amateur de Camp, ce qui est important pour Grigaliūnas, « ce n'est pas la beauté, mais un certain degré d'imitation », ce n'est pas la politique, mais les mythes qu'elle engendre, ce n'est pas la respiration de la nature, mais les bruits de la ville et les conteneurs de culture. Et cet amour de l'artifice est très contagieux.

Traduit du lituanien par Sylvie Burin des Roziers
@ Laima Kreivytė, Cahiers Lituaniens, n°7, 2006

 


Pour en savoir plus :

www.galerijavartai.lt/Artists/Grigaliunas/Grigaliunas_demo.htm
grigaliunas@xxx.lt