L'illustrateur
Stasys Krausauskas Dessin au
feutre de Stasys Krasauskas Crédit
photo : Editions Versus Aureus, Vilnius Stasys Krasauskas est né en 1929 à Kaunas. Après ses études d’arts graphiques à l’Institut d’Etat des beaux-arts de Lituanie, de 1952 à 1958, Stasys Krasauskas est devenu l’un des plus célèbres illustrateurs de Lituanie et d’Union soviétique durant les années ’60 et ‘70. La flexibilité de sa ligne et son trait gracieux l’ont rendu illustre et il est récompensé par les plus hautes distinctions de son pays, dont le Prix d’Etat de la RSS de Lituanie en 1967 et le Prix d’Etat de l’URSS en 1976. Il est mort en 1977 à Moscou et est enterré à Vilnius.
La ligne
artistique de Stasys Krasauskas La vie peut tout à fait être présentée sous la symbolique de la ligne. Quand je regarde les photos de mes parents, je remarque avec quel amour ils traitaient la vie pauvre et fatiguée que la guerre leur avait léguée. Je me retrouve alors dans ces temps anciens où leur ligne de vie ressemblait à un fil de fer barbelé. En Lituanie, la guerre ne s’est pas arrêtée en 1945 ; jusqu’en 1991, nous vivions encore sous l’annexion soviétique. L’angoisse pesante du quotidien faisait partie de la vie de cette génération d’après-guerre qui suffoquait, enfermée dans l’Etat de la Peur. Après la mort de Staline, le « dégel » progressif apporta quelque espoir, mais la vie resta encore sévèrement encadrée par le mur aliénant du régime soviétique. On ne sait pas ce qui était le plus détestable pour la génération de mes parents, l’époque ou la résignation face aux évènements ? Lassée par le mensonge, elle traquait la seule vie qui aurait été digne d’être vécue : son désir était de survivre et de s’épanouir. Certaines vies sont comme marquées par une ligne pointillée, fragile et cassante, d’autres par des lignes fortes et solides. La ligne de vie et de création du peintre Stasys Krasauskas, mon père, ressemblait à ces dernières, pleines de vitalité, fortes et volontaires. A 18 ans il devint champion de natation des Pays baltes, et à 20 ans, il battit le record du célèbre Tarzan (Johnny Weissmuller). En une seule compétition, il gagna huit premières places. Il fut plusieurs fois champion de Lituanie en natation (35 records de Lituanie dans différents styles de nage), et jouait dans l’équipe nationale de Lituanie de water-polo. Mais la parfaite maîtrise de son corps se révélait surtout dans ses sauts sur trampoline. Toute la station balnéaire se donnait rendez-vous pour regarder ses célèbres sauts depuis la jetée de Palanga ! Mon père voulait faire beaucoup de choses de sa vie, il voulait tout essayer. Dans sa vie, il savait accorder ce qui était, semble-t-il, opposé ou contradictoire. Il avait une jolie voix de ténor lyrique et aimait chanter des chansons populaires, des airs d’opéras italiens et des romances russes. Il chanta même le rôle principal de Liutauras dans l’opéra Grajina de Jurgis Karnavičius. De nature curieuse et artistique, il s’essaya au cinéma et joua le rôle du marin Sacha dans le film de Raimondas Vabalas, Les pas dans la nuit. Puis l’art devint la plus grande passion de la vie de Krasauskas. Il étudia le graphisme à l’institut des Beaux-Arts de Vilnius, où il se distingua comme maître talentueux du dessin académique. Déjà dans son travail de fin d’études- une gravure sur bois d’après le texte de Vaižgantas, Aux oncles et à leurs femmes-, surgissait la flexibilité de sa ligne. Ayant évalué ses points forts, il passa de la gravure sur bois à la gravure sur zinc, matière où le tracé de son dessin pouvait davantage s’épanouir. Je pense que son trait gracieux trouve son origine dans les dessins des vases grecs. Il affectionnait particulièrement les priorités de la culture antique : un corps sain, beau et harmonieux, et dans ce beau corps, une belle âme. Je crois que la sensation profonde de sa ligne est née en même temps que sa sensation de liberté du corps dans l’eau, car l’eau était son élément. J’étais cet enfant à qui il apprenait à être à l’aise dans l’eau. Bien avant que je sache nager, à 4 ou 5 ans, mon père nageait loin dans la mer Baltique en me portant sur son dos. Maintenant quand je nage, je ressens moi aussi ce contact du corps et de l’eau, et je comprends que sa ligne soit née notamment dans ce mouvement mêlé de tension. Vivante, sensible, nette, musicale, autant classique qu’expressive ; en Lituanie, une telle ligne s’appelle « krasauskienne ». Une ligne éloquente. Une douce, gracieuse et harmonieuse transformation des corps. Ses diverses compositions de gravures vont de la simple fixation d’une idée en quelques mots à la plus compliquée organisation de dessin abstrait jamais réalisée sur plaque. Les thèmes du peintre étaient axés sur l’adoration de la jeunesse, de la beauté et de l’amour. Et même dans le contexte de l’art contemporain, Krasauskas affirme des vérités dont la clarté et la simplicité nous manquent. Pour Krasauskas, interpréter la poésie est un point de départ. Ce qui nous paraît évident aujourd’hui était encore une découverte dans les années 60-70. A travers son œuvre, Krasauskas a transmis l’idée qu’une illustration de livre pouvait devenir un chef-d’œuvre en elle-même et enrichir ainsi un texte littéraire. Parmi ses meilleures illustrations, on peut noter celles des Sonnets de Shakespeare, du Cantique des cantiques de Salomon, du recueil de poésies L’homme d’Eduardas Mieželaitis et du poème Le mur de Justinas Marcinkevičius. Il projetait également d’illustrer La divine Comédie de Dante, mais la vie ne lui en a pas laissé le temps. Il aimait aussi un genre plus léger qui, pour lui, n’était pas un genre mineur car il estimait beaucoup la plaisanterie et l’humour. Il illustra ainsi beaucoup de satires et de textes humoristiques. Dans les livres et les magazines, il publiait souvent des croquis, et dans le célèbre café « Nėringa » – le lieu de rencontre de tous les artistes de Vilnius – il immortalisait avec beaucoup d’esprit ses collègues peintres, écrivains et poètes sur les serviettes en papier. Sur ces dessins, il griffonnait souvent de petits textes pleins d’esprit. Son expression artistique n’avait pas de limite : il était non seulement illustrateur, mais aussi créateur de nouvelles originales, poétiques et graphiques, un genre de « poèmes-nouvelles » graphiques qu’il développa. Le premier cycle en fut La naissance de la femme. Bien qu’ayant une maîtrise parfaite de son dessin dans la rapidité, il s’abandonnait volontiers au charme du mûrissement ; ainsi Krasauskas laissa reposer très longtemps la plupart de ses travaux les plus remarquables ; le travail sur le cycle de La naissance de la femme, depuis la première esquisse jusqu’au résultat définitif, dura environ quinze ans. Pour le cycle de gravures Les vivants éternels, il reçut un prix d’Etat. Les différentes facettes de sa personnalité sont étonnantes, tout comme la multitude de ses travaux réalisés. Ma mère fit le compte du tirage total des livres illustrés par mon père et des publications de ses graphismes sur les couvertures et dans les recueils, cela faisait plus de deux millions ! Les travaux de Krasauskas furent récompensés par une grande quantité de prix et de diplômes internationaux. Il organisa lui-même environ 30 expositions, et depuis sa mort, de 1977 à 2000, déjà huit expositions furent organisées dont deux aux États-Unis, à Chicago. J’ai constitué une collection de ses œuvres qui voyagea, depuis 2001, à Tallinn, Budapest, Vilnius, Moscou, Saint-Pétersbourg, Varsovie, Seiniai, Punskas et Kaliningrad. Vingt-huit ans sont passés depuis la mort de mon père, et son œuvre suscite toujours autant d’admiration. En cette année 2005, nous avons publié Noir et blanc - Souvenirs de Stasys Krasauskas. C’est un livre sur son œuvre de plénitude et de passion qui fut toute sa vie. Et je prépare actuellement une monographie du peintre. Comme dit avec justesse un poète, Krasauskas illustrait des livres, mais c’est comme s’il avait illustré son époque. La ligne du passé rejoint celle du présent. Traduit du
lituanien par Sylvie Burin des Roziers
Pour en
savoir plus :
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